[Interview] Tekilatex (Street Tease)

Street Tease : Teki, pas mal de fans des premières heures de TTC t'ont reproché ce tournant pop pris avec ton album solo. (Party de plaisir, sorti en 2006 produit par Gonzales ndlr) Est ce que cette tape, au titre explicite, est une réponse à la critique ?

Tekitek : Tu sais depuis 11 ans que je fais de la musique que j'expose aux gens, à chaque projet, que ce soit avec TTC ou tout seul, j'ai essayé de me réinventer, de proposer quelquechose de nouveau et d'excitant d'abord pour moi mais aussi pour les gens qui me suivent.
Quitte à parfois me contredire mais il n'y a que quand tu prends ma discographie au complet que tu te rends compte du caractère et de l'identité de Teki Latex.
Alors j'ai fait un album de pop au moment ou j'avais envie de faire un album de pop, puis là j'ai fait un street album complètement différent, et la prochaine fois j'aurais certainement envie de faire quelque chose d'autre.
Il y aura toujours une partie de fans moins éduqués qui ne verra pas le rapport, et une autre partie qui dira "ouais logique" et qui, qu'elle aime ou pas le résultat, appréciera la démarche.

Je te pose cette première question car lorsqu'on écoute ces freestyles on retrouve le Teki de Musclor ou de J'ai pas sommeil, que certains croyaient, à tort, définitivement disparu. Tu es souvent là où l’on ne t'attend pas. Est ce que c'est lié à ta démarche artistique ? Quelle est ta définition du terme ?

Et bien non, ce Teki là n'a pas disparu, mais en même temps ce Teki là ne vaut pas forcément mieux que celui qui a fait Les Matins de Paris, à mes yeux. Le Teki de Musclor et de J'ai pas Sommeil c'est pas très dur d'aller le chercher en moi.
Ecrire une pop song parfaite comme Les Matins De Paris ça demande bien plus de travail, c'est tout aussi honorable. Ça plait plus aux "gens lambda" et un peu moins aux gamins un peu nerds qui ont envie de se sentir "spéciaux" et "différents" mais dans l'absolu il n'y en a pas un qui vaut mieux que l'autre.
J'aime pas forcément le terme "artiste" alors je ne vais pas en donner de définition.

Sur cette tape, tu freestyles sur la BOF d'Orange Mécanique dans Agent Orange, mais aussi sur des tubes electro récents comme Baton Merdeux qui revisite le Mirando de Ratatat ou L'envol du Corbeau sur Raven de The Proxy. Qu'est ce que ca t'inspire ?

C'est juste une preuve de la richesse du hiphop qui s'approprie les autres genres musicaux mais à aucun moment sur ces morceaux, j'ai l'impression de faire autre chose que du rap. C'est pas un nouveau style c'est juste mon identité.
Je ne sais pas si les jeunes générations de kids qui vont au Social Club se rendent compte que TTC ont été parmi les pionniers de cette rencontre entre le rap et la musique electronique, aujourd'hui c'est digéré par des gens comme Kanye West et compagnie et ça fait partie du rap, ça a été absorbé par le rap.
On est fiers d'avoir été à l'avant garde de ce courant mais on déteste les gens qui se servent de l'électro hip-hop comme d'un genre de drapeau, comme si c'etait une manière de faire du rap pour les gens qui n'aiment pas le rap.
Dans 100% des cas le résultat est caricatural et absolument pourri. Ca nous déprime à fond, quand je reçois une démo ou un lien myspace d'un type qui dit faire du rap electro, c'est bien simple, j'écoute pas.

Tu as commencé l'enregistrement de ces freestyles l'été dernier, depuis tu as tourné en tant que DJ dans un peu partout (Australie/Canada/Europe), prends tu le même plaisir derrière les platines que le micro ?

En vérité je vais te dire, aujourd'hui je prends environ 100 fois plus de plaisir derrière les platines que derrière un micro. En fait je n'ai jamais été très fan du concept de concert. Déjà, je n'aime pas voir des gens en concert, je suis déçu dans 99% des cas.
Le mec reproduit sa musique de manière jamais aussi cool que sur le disque, tu es entouré d'hommes laids qui s'agitent et qui suent, tu ne vois pas bien ce qui se passe, le son est toujours foireux, ce n'est jamais une expérience très fun.
Peut-être que l'envie reviendra mais pour l'instant je prend tellement mon pied dans mon job de DJ que ça risque d'être prioritaire pendant encore un bon bout de temps. Je fais découvrir de la musique aux gens, je m'amuse, c'est beaucoup moins stressant que de monter sur scène pour rapper et c'est beaucoup plus gratifiant.
J'ai l'impression qu'il y a plus d'échange avec le public. Et ça ne m'empêche pas de prendre le micro de temps en temps pendant mes sets, à petites doses.

Tu es co-fondateur de la maison Institubes, qui se diversifie ces temps-ci, puisqu'à ton initiative deux branches ont fait leur apparition. Commençons par Stunts, branche hip-hop du label, regroupant une belle équipe d'espoirs, parles nous un peu de cette histoire, du So fresh a Joke, de Pulse à Orgaga, Comment t'est venue cette idée ? Quels sont les projets à venir ?

Alors je ne suis pas forcément à l'initiative de l'apparition de Stunts, je fais partie de l'équipe mais c'est surtout une idée de JR et Émile Shahidi d'Institubes dont le développement a été confié à Orgasmic et à notre ami le Genevan Heathen. Orgasmic et Pulse forment le pool Stunts DJ's, ils vont sortir régulièrement des mixtapes (le deuxième volume est tout juste sorti) pour mettre en avant les artistes du label et rendre compte de l'actualité rap et des morceaux dont le son nous touche et définit l'identité de Stunts.
Joke arrive avec son premier street album à la rentrée, Cuizinier, So fresh Squad préparent des albums, la prochaine Stunts DJ’s sera vraisemblablement consacrée à Craiz, on avance tranquille.

L'autre branche c'est Sound Pellegrino, dont on entend moins parler, et pourtant déjà plusieurs releases ! L'optique est elle toujours la même, à savoir mettre en lumières des artistes qui a tes yeux le méritent comme tu as pu faire depuis le début (Surkin/So Fresh/Joke) ? Pourquoi ne pas l'avoir fait via institubes ?

Alors Sound Pellegrino est le label "petit frère" d'Institubes, il a non seulement un fonctionnement différent d'Institubes, mais aussi un son qui n'est pas forcément le son des autres artistes d'Institubes.
Avec des gens comme Zombie Disco Squad, Renaissance Man, Douster, Momma's boy, Harvard Bass, on met en avant une scène house contemporaine avec un son qui n'est ni le gros son saturé des gros "bangers" typiques de la nouvelle scène electro française et de la fidget house sous stéréoïdes, ni le son de la techno minimale sérieuse, austère, aride et rébarbative. Le son Sound Pellegrino se rapproche d'une house plus groovy, plus tropicale, souvent déconneuse et jouissive, élégante, et toujours extrêmement dansante.
Au niveau du fonctionnement avec Sound Pellegrino on ne sort que des maxis au format digital, on signe les artistes pour des maxis et non pour des albums, on ne s'occupe pas systématiquement de leur développement, et la plupart du temps ce sont des gens qui ont, ou auront, une carrière ailleurs. Sound Pellegrino a été créé par Orgasmic et moi avec dans l'idée d'avoir une fenêtre dans laquelle on puisse s'exprimer librement, signer nos coups de cœur, sortir plein de disques (digitaux) sans trop de contraintes et avec un rythme plus soutenu.
On veut essayer d'arriver à sortir deux disques par mois à la rentrée. En 6 mois, on a réussi à réunir un public fidèle qui ne cesse de grossir, on est hyper soutenus par plein de djs d'horizons différents, de A-Trak à Laidback Luke en passant par Tiga, Brodinski ou des gens qui n'ont rien à voir comme Aeroplane... même Chloé joue nos disques !
On arrive à mettre d'accord plein de djs qui avaient un peu oublié l'aspect "club" d'Institubes, qui n'a pourtant jamais cessé d'être présent. Et puis un petit scoop : ne soyez pas surpris si vous entendez du Teki Latex sur Sound Pellegrino avant la fin de l'année !

Tu as célébré récemment les 10 ans de TTC au Rex, le groupe est au sommet de l'arbre généalogique de tous ces projets, comment vois-tu l'avenir du groupe ?

Il faut d'abord que Cuizinier finisse son album solo. Ensuite, on va essayer de s'y mettre. Un jour je suis méga motivé pour recommencer à bosser sur du TTC, le jour d'après je trouve les obstacles insurmontables. On a chacun notre vie maintenant, c'est moins évident de nous réunir au même endroit.
Ensuite il y a la pression d'être à la hauteur des 3 albums précédents. Faire un album de TTC c'est à chaque fois très douloureux et très compliqué, il faut vraiment avoir envie de retourner dans cette zone mentale.
On a encore besoin d'un peu de temps pour retrouver cette envie et être sûrs que ça se fera dans des conditions plus détendues qu'à l'époque.

Pour finir, tu ajoutes une corde de plus a ton arc, avec une collaboration avec le styliste japonais Big O à venir pour cet hiver, parle nous en un peu toi que l'on sait pointilleux en terme de sappes…

Big O c'est le créateur des marques japonaises Swagger et Phenomenon, c'est un excellent gars, qui est aussi une sorte de rappeur mythique au japon, et qui est devenu petit à petit une sorte de grand gourou créateur de mode qui fabrique des pièces complètement incroyables.
Il commence a être un peu connu dans le reste du monde après avoir habillé Lupe Fiasco, Kanye West et avoir collaboré sur des accessoires en cuir avec la marque allemande MCM et Taz Arnold de Sa-Ra (le gars qu'on voit partout avec Kanye, même dans South Park).
Pour moi il est clairement le prochain Nigo, il a le potentiel pour ça. On s'est rencontré lors d'un de mes voyages au japon, il avait déja croisé Cuiz et il adore TTC, on a collaboré sur des morceaux et on a animé des soirées ensemble. Un jour Pascal Monfort de Nike m'a suggeré "pourquoi tu fais pas un truc avec Big O, ça parait évident" et au bout d'un moment je me suis décidé à lui proposer une collaboration sur quelques pièces.
Pour l'instant j'en suis encore à choisir les pantones mais on s'échange des fichiers très régulièrement et on commence à arriver à quelquechose qui a de la gueule.
Selon les japonais ça sera prêt cet hiver. Plein de gens m'attendent au tournant et pensent que je vais arriver avec un truc "fluo gadget" à la con alors que les marques qui m'obsèdent c'est des trucs hyper classiques comme Lacoste et Ralph Lauren.
En mélangeant ça avec mes idées et le savoir faire de Big O, ça donne un truc vraiment personnel. J'ai hâte de dévoiler ça au monde.

Interview assez récente qui ma fortement plu.
On trouve un Teki sans concession comme d'habitude, droit au but, répondant clairement aux interrogations.

C'est un type qui sait ce qu'il veut, ce qu'il fait, et où il veut aller.

On apprend que Cuiz va faire un solo c'est bon ça !

Il a le mérite de ne pas garder sa langue dans la poche. Par contre il existe plusieurs points où je suis en désaccord avec lui. Interview ma foi intéressante même si je ne suis pas fan de ses travaux musicaux.