[Réactions] Portishead - Third

La rapidité avec laquelle se sont arrachées les places de la tournée de Portishead - les billets des concerts des 5 et 6 mai, au Zénith de Paris, sont partis en quelques heures - a dû laisser perplexe un groupe anglais qui a souvent fait état de ses difficultés à reproduire sur scène sa musique de laboratoire. Et qu'on a pu oublier.

Mais onze ans après son dernier album studio, le trio formé par Beth Gibbons, Geoff Barrow et Adrian Utley a laissé une marque qui va au-delà du design sonore. La parution, le 28 avril, de Third, nouveau disque déchirant de noirceur, rappelle que pour Portishead intensité émotive et extrémisme sensoriel vont de pair avec le goût de l'innovation.

Avec des artistes comme Massive Attack ou Tricky, Portishead a créé une des couleurs musicales dominantes des années 1990. Baptisé trip hop, ce son conçu dans la ville de Bristol, à l'ouest de l'Angleterre, témoignait de l'assimilation par la jeunesse locale des musiques noires américaines - les collages du hip-hop, la dramaturgie de la soul -, des volutes rêveuses du dub jamaïcain et d'une tradition avant-gardiste régionale.

En 1994, avec l'album Dummy, puis en 1997, avec Portishead, le groupe imprimait sa singularité. Fruit de la rencontre entre Barrow, jeune ingénieur du son et DJ fan de rap, Utley, de quatorze ans son aîné, guitariste venu du rock et du jazz, et la chanteuse Beth Gibbons, née en 1965, qui avait rodé sa voix en reprenant Janis Joplin, leur blues de matin blême, hanté de solitude, d'anxiété et de machines fantômes allait imprégner la décennie. Jusqu'à saturation.

"Publier un disque représentait, au départ, un rêve inaccessible, confie Geoff Barrow, puis, quelques années après Dummy, je me suis aperçu que plusieurs producteurs de hip-hop, parmi ceux que j'admirais le plus comme DJ Premier, RZA, Timbaland ou Missy Elliott, avaient samplé des titres de Portishead. C'est comme si j'avais bouclé une boucle."

Ce sentiment d'achèvement sera doublé d'une impression d'usure, à la fin d'une tournée qui verra la sortie d'un disque en concert, Roseland NYC Live, enregistré, en 1997, avec l'Orchestre philharmonique de New York. "Nous étions carbonisés, explique Geoff Barrow, épuisés par l'industrie du disque. Pour supporter cette fatigue et cette tension, nous abusions de l'alcool. Nos relations personnelles en avaient souffert. Nous avions l'impression d'avoir exprimé tout ce que nous avions à dire."

Vient le temps des remises en cause. "Jusqu'en 1998, je n'avais vécu que pour la musique, reconnaît Geoff Barrow. Un divorce m'en a fait prendre conscience. J'ai tout arrêté pendant trois ans. Je suis parti vivre en Australie, essayer de me ressourcer." En vacances de Portishead, Beth Gibbons tente avec réussite une aventure solo, enregistrant l'album Out of Season avec Paul Webb (alias Rustin Man), l'ancien bassiste de Talk Talk. Adrian Utley prendra part au disque et à la tournée qui suivra.

"RÉFLÉCHIR AU MONDE"

Né d'une envie de sculpter des sons, Portishead ne pouvait renaître qu'avec le besoin de tailler un nouveau matériau. "En Australie, se souvient Geoff Barrow, j'ai rencontré un jeune DJ qui m'a fait découvrir les sons de groupes heavy metal très extrêmes comme Sunn O))), une musique lente, lourde glaciale aussi surnommée "drone rock"". Ensemble, ils créent un label de production, Invader. "En écoutant cette musique radicale, j'ai retrouvé les mêmes sensations que quand je découvrais le hip-hop de Public Enemy. Cela m'a donné envie d'aller de l'avant", dit Barrow.

Si Adrian Utley et Beth Gibbons se retrouvaient eux aussi motivés par cet apport de sons frais, complété par des références aux pionniers du rock industriel et de la musique synthétique comme Kraftwerk, Human League, Silver Apples, Joy Division ou Cabaret Voltaire, les retrouvailles de Portishead n'allaient pourtant pas de soi.

"Notre processus créatif est très douloureux, estime Adrian Utley. Nous ne nous retrouvons pas en gratouillant nos instruments pour trouver l'inspiration. Nous devons réfléchir à un monde, élaborer un univers pour faire exister notre musique. Cela demande des heures de discussion en studio, où nous confions nos frustrations, nos angoisses par rapport à la société, à la façon dont les êtres humains sont conditionnés. Si notre musique est plus sombre, c'est sans doute que l'époque l'est aussi."

Si Third reflète les mutations de Portishead, il prouve aussi la puissance émotive intacte de Beth Gibbons, frissonnante sirène de la désolation. Son importance semble même s'accroître au sein du trio. "Auparavant, Beth chantait sur les sons que nous lui proposions, constate Adrian Utley. Depuis qu'elle joue de la guitare, elle nous apporte aussi des compositions." Geoff Barrow juge même son apport "déterminant depuis nos débuts".

Beth Gibbons est une chanteuse si maladivement timide qu'elle refuse tout entretien. "Elle ne conçoit le chant que comme l'expression la plus intense de la réalité. Elle transcende ainsi son incapacité à communiquer", ajoute Barrow.

MiLS a écrit:Faut l'écouter plusieurs fois pour bien rentrer dedans j'pense.. Enfin c'était mon cas.

J't'upperai les 2 autres albums et le CD live à Roseland si t'es sage.. A mon avis, tu vas + kiffer

A Lil Zeker a écrit:Elle est spéciale quand même "Machine Gun"